samedi 22 janvier 2011

Écouter l’indicible avec les poèmes de Ghérasim Luca

Serge Martin: « Écouter l’indicible avec les poèmes de Ghérasim Luca » dans Interférences n° 4 (« Indicible et littérarité »), Louvain : Université Catholique de Louvain (Belgique), Mai 2010, p. 233-246.

Résumé

Ghérasim Luca (1913-1994) est considéré comme un poète sonore ce qui paradoxalement peut faire disparaître l’indicible qu’il fait entendre quand la critique met depuis le fameux mot de Deleuze toute son oeuvre sous le signe d’un bégaiement. Ce poète qui a échappé à la « solution finale » en Roumanie et lutté toute sa vie contre les multiples tentatives de la reproduire autrement jusque dans l’arraisonnement des écritures et des vies, n’a cessé d’opposer une force de vie dans et par le langage dont l’orientation peut être définie par une physique de la pensée : l’invention de corps-langages inouïs après l’extermination massive des Juifs d’Europe, la bombe d’Hiroshima et tout ce qui ne cesse de les prolonger. Loin d’un silence testimonial, l’oeuvre de Luca constitue un défi à tous les discours de déploration et de défiance au langage : l’indicible est audible dès le plus petit poème qu’il s’appelle « Auto-Détermination », « Quart d’heure de culture métaphysique », « Passionnément » ou encore « La fin du monde ». « Le chant de la carpe » est un poème « à gorge dénouée » qui rend voix à ce qu’on veut taire, faire taire jusque dans la célébration. Ce qui ne manque pas d’obliger à reconsidérer la fameuse déclaration d’Adorno qu’on a peut-être mal lue ou lue trop vite…


Abstract

Ghérasim Luca (1913-1994) is considered as a poet of sound, which paradoxically can hide the unspeakable he expresses as the critics have put his whole work under the sign of stammering since Deleuze’s comment. This poet, who escaped from the “final solution” in Romania and who has struggled all his life against the numerous attempts of reproducing it in other ways, as far as in the unreasoning of writings and lives, has always opposed a force of life within and through the language, whose orientation can be defined by a physics of thought: the invention of outrageous language-bodies after the genocide of the European Jews, the Hiroshima bomb and everything that continues them. Far from being a witness’s silence, Luca’s work is a challenge to all the speeches of mourning and mistrust of language: the unspeakable can be heard in any of the poems, whether they’re entitled “Auto-Détermination”, “Quart d’heure de culture métaphysique”, “Passionnément”, or “La fin du monde”. “Le chant de la carpe” is a “loud” poem, which gives a voice to what people want to keep silent, silent as far as in the celebration. Which doesn’t go without obliging us to reconsider Adorno’s famous declaration that might have been misread or read too quickly…