lundi 30 janvier 2012

Luca et Michaël Levinas

La musique contemporaine et Ghérasim Luca.
Plus d'informations à cette adresse:
http://www.canalacademie.com/ida8307-Claviers-en-miroirs-le-recital-de-piano-revisite-par-Michael-Levinas.html

M. Durand-Lacaze : D’abord Michael Levinas, quelle était votre intention en proposant au Collège des Bernardins une invitation musicale avec un titre aussi poétique « claviers en miroirs », un concert autour du clavier ? 
- M. Levinas : Quand on est à Canal Académie, on sait que certains murs vénérables qui ont été habités par la spiritualité, comme ceux du Collège des Bernardins, engendrent aussi la liberté. J’ai retrouvé aux Bernardins, cette liberté, cette spiritualité et ces traditions. Le lieu est en plus, inspiré par le Père Antoine Guggenheim dont les activités philosophique et théologique m’ont plu. J’ai senti que c’était le moment de retrouver cette liberté d’exprimer, à la fois une joie devant quelque chose qui a été transmis, c’est-à-dire des grands textes. Les Bernardins incarnent tout de même le lieu du Livre et de la tradition de la transmission de l’écrit. En même temps, l’idée était de présenter un très jeune ensemble musical qui abat les cloisons entre les genres, et qui tout en ayant hérité des expériences très fortes du siècle, invente quelque chose de neuf ; et dans lequel je ressens une sorte de miroir qui propulse vers au-delà de mon époque et de ma génération. J’ai ressenti la nécessité de faire une création avec eux sur un texte de Gherasim Luca, et de prendre une autre de mes pièces, intitulée « le concerto pour un piano-espace », qui est une sorte d’extension, une modernisation, et en même temps une métamorphose de ce qu’il y a de plus traditionnel, de ce qui n’a jamais bougé pendant dix siècles : le clavier. Dans la tradition occidentale, le clavier est un mystère par sa longévité. Tout le monde sait qu’il y a des touches blanches, noires, mais elles sont en haut, en bas, en relation avec la main, ce qu’il y a de plus humain, dans le mode de l’émotion avec la respiration. Elles ont des incidences sur le langage musical. Avec cette jeunesse, présente à travers la prestation de l’Ensemble Le Balcon, associée à la tradition évoquée précédemment, on va s’interroger au début de ce siècle, sur ce que serait la transmission, l’œuvre, l’écrit, l’impossibilité de transmettre par l’écrit, et sur la question de la sonorité du son. Comment l’écrit traverse les époques à travers l’évolution des sons, des lutheries, dans notre civilisation ? 
M. Durand-Lacaze : C’est un programme ambitieux et original qui lie le concert et la réflexion, à travers une table-ronde ! 
M. Levinas : C’est une anticipation de quelque chose dans un lieu où l’on pouvait se poser ces questions, et en même temps, imaginer une autre forme de concert que les récitals ou les concerts de musique contemporaine -concerts que j’admire ! 
M. Durand-Lacaze : Vous avez voulu revisiter le récital de piano classique en proposant un large éventail que reflète la programmation musicale associée à un moment de réflexion. 
M. Levinas : J’appelle cela une "concertation". 
M. Durand-Lacaze : Pour une meilleure écoute ? 
M. Levinas : Enfin une écoute à la fois renouvelée et critique pour les mélomanes. Il ne s’agit pas de soirées de théorie, de persécution intellectuelle, ce sont des soirées de musique. Il y a une énergie qui va traverser la grande nef des Bernardins. Je l’espère ! Enfin j’en suis presque certain. 
M. Durand-Lacaze : Maxime Pascal, comment voyez-vous cette transmission que vient d’évoquer Michaël Levinas ? 
M. Pascal : C’est passionnant ce que dit Michaël car notre génération de musiciens a un lien très fort avec toutes les charges spirituelles que peuvent contenir les textes, notamment la musique de Messiaen, de Stockhausen, tout ce qui a été écrit depuis les années cinquante. La charge spirituelle est très forte dans le texte. Et c’est très important pour nous, de venir jouer la musique de Michaël Levinas au Collège des Bernardins. Notamment parce que nous sommes aussi liés à la musique mixte et à la musique électronique, c’est-à-dire à la machine, aux haut-parleurs. Les propos de Michaël me font penser à ce que disait Jonathan Harvey à propos de la musique électronique. Il parlait des liens entre la musique électronique et la musique d’église et disait que le lien c’est la musique invisible. On ne voit pas les instruments jouer quand la musique sort des hauts-parleurs, de la même manière qu’on ne la voit pas quand l’organiste joue à l’église. Il y a ce lien très fort. C’est très important de s’interroger sur ces questions : les questions de la transmission, tous ces aspects de la musique… 
M. Durand-Lacaze : « Claviers en miroirs » est une expression que vous avez trouvée Michaël Levinas ?
M. Levinas : Oui, je l’ai trouvée. J’avais aussi envie d’appeler cela « Éternels claviers » puisqu’on va interpréter de la musique qui va jusqu’à la fin du XX
e siècle sur les modes de jeux, de traditions. L’idée est d’oublier toute la gangue interprétative de ces musiques pour piano des XIX e et XXe siècles alors que l’instrument ne cessait de se moderniser. C’est très passionnant sur la lecture de Bach, parce que la musique de Bach est une musique religieuse, faite pour des espaces réverbérés, pour des sons qui tiennent. Évidemment, l’orgue dans un lieu sacré est tout à fait à sa place. Bien sûr le piano a été une sorte d’héritier des lieux sacrés car il a une résonance (c’est mon attitude de faussaire musicologique et historique). C’est ce que j’appelle le "piano-espace", une capacité d’exprimer la réminiscence. C’est pourquoi il a eu une telle influence sur l’opéra et la musique romantique comme quelque chose qui revient de loin, quelque chose qui monte vers le ciel… Évidemment cet instrument a été pour les pianistes et pour les musiciens, pour Busoni, pour Liszt, même pour Messiaen, pour Fisher, tous ces gens que j’admire, un instrument qui résonnait comme à l’église. 

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