Critique - Poésie - Tourcoing
Quand les fous affolent la mort
Les mots en corps et en voix, en choeurs et en cris
Publié le 25 avril 2012
Luca est auteur de textes où la langue française devient matière sonore pour sensualité nourrie de mots. Un trio féminin les incarne en expérience collective musicale et visuelle.
À l’origine, il y a le Roumain Ghérasim Luca (1913-1994) qui écrit essentiellement en français. Son travail sur la langue en fait un héritier des dadaïstes, un cousin latin des surréalistes, un préfigurateur des oulipiens, un aïeul d’écrivains comme Jean-Pierre Verheggen ou Serge Pey.
Il parie sur un rythme effréné, sur les sonorités des vocables. Il ne craint pas de pratiquer les allitérations, répétitions et donc anaphores, néologismes, glissements syntaxiques, ruptures sémantiques, bégaiements… Il déstructure le langage pour le restructurer à sa manière avec une allégresse étonnante.
Ce qu’il dit parle du monde. Mais à travers le corps, omniprésent, décelé à travers ses sens, perçu mortel, inséré dans un univers que la lucidité trouve médiocre, contraignant. Il faut y apporter la passion et c’est le rôle du poète.
Ensuite il y a le lieu situé entre une porte blanche et une autre, vitrée à croisillons de bois. Elles sont des entrées et, surtout, des écrans sur lesquels, comme sur celui qui sert de ciel, sont projetées des images, des photos, des séquences filmées, des moments de fluides en train de s’étirer et de se répandre.
Au centre, une table longue, celle des banquets d’autrefois, entourée de chaises et de transatlantiques pour accueillir le public. Chacun choisit sa place, là où il y a ou pas des écouteurs, des souris d’ordinateurs grâce auxquelles il est possible d’interférer sur les projections. Chacun, selon son gré, aura l’occasion de changer de siège. Au bout, à son clavier de P.C., à sa guitare, à son mini-piano, un orchestrateur pour musiques acoustiques ou éléctro-acousmatiques.
Un trio énergétique
En évolution dans l’espace, trois comédiennes habitées par les poèmes de Luca. Elles sont d’abord musiciennes des textes qu’elles offrent. En solo, duo ou trio, les voici instruments d’un orchestre de chambre. Avec une précision de praticiennes de la natation synchronisée, elles s’emparent des vers, les distillent ou les proclament.
Elles mettent en valeur l’humour acidulé, l’absurde délirant, la sensualité du poète. Elles usent de leur corps pour une gestuelle résolument non réaliste, plus proche de la danse contemporaine que du mime. Les lieux sont habités, sans cesse, arpentés, escaladés. Nul temps mort dans tout cela. Un plaisir contagieux, collectif qui se nourrit de la langue vivante, audacieuse de Luca proche de certaines trouvailles d’un Michaux ou d’un Chavée.
Les musiques créent l’insolite. Sans envahir ni submerger les poèmes. Elles s’intègrent aux sons des voix. Les images évoquent à la fois le monde extérieur : la nature mais aussi les humains malmenés par l’histoire ou par leur ressenti émotionnel. Elles aussi, bien qu’omniprésentes devant, derrière et au-dessus, n’envahissent pas. L’ensemble brille par sa cohérence. Il emporte le spectateur, le laisse pantois, assuré qu’il est d’avoir vécu un moment d’exception.
Michel VOITURIER, Lille
Imprimé avec joliprint
Des Prémices prometteuses
La première édition du festival réservé à la jeune
création théâtrale révèle déjà des nouveaux talents.
Noémie Gantier et Victoria Quesnel dans La chanson de Tiphaine Raffier.
(Pierre-Etienne Vibert)
Dans la région Nord, la jeune création théâtrale
a désormais son festival : Prémices. Accueillie
dans quatre lieux : le Théâtre du Nord, à Lille
et à l’Idéal de Tourcoing, la Rose des vents, à Villeneuve
d’Ascq et aussi la Maison de la Culture de
Tournai, la première édition a démarré le 12 avril.
Elle met à son programme huit spectacles, pour
dix-neuf représentations, proposés par des jeunes
compagnies, collectifs ou groupes d’acteurs. Pour
l’essentiel, les jeunes artistes sont issus de l’Ecole
professionnelle supérieure d’art dramatique, ouverte
en 2003 et dirigée par Stuart Seide, le directeur
du Théâtre du Nord. Associé à Didier Thibaut, le
directeur de la Rose des vents, ils ont eu l’idée de ce
festival pour mettre en lumière les nouveaux talents
émergents. Et ils ont eu raison. Sinon, comment aurions-
nous pu découvrir La chanson * de Tiphaine
Raffier? Une narratrice, Pauline, plante le décor :
Val d’Europe, ville nouvelle des années 80 et son
horizon de nature falsifiée par Disneyland, de centre
commercial et d’avenir illusoire. Elle est rejointe
sur scène par deux amies, Jessica et Barbara, pour
répéter, comme chaque semaine, une chanson du
groupe Abba. Les trois jeunes filles chantent, rêvent,
dansent, cherchent comment vivre. On peut déjà retenir
le nom de la jeune auteure, qui témoigne d’une
qualité d’écriture et d’une maitrise que l’on craint
de voir s’effriter et qu’elle tient jusqu’à l’ultime instant.
Le ton, entre lucidité et fraicheur, l’univers
personnel de ce spectacle qu’elle met en scène et
interprète avec Noémie Gantier et Victoria Quesnel,
embarquent le public jusqu’à son dénouement. C’est
une véritable révélation.
Plus aventureuse est l’expérimentation collective
proposée par Sébastien Amblard et ses camarades
: Quand les fous affolent la mort, d’après l’oeuvre
poétique et sonore de Ghérasim Luca. Le spectateur
est invité à entrer dans l’univers du Roumain qui
pensait que la poésie pouvait sauver le monde. Alors,
oui, l’interprétation étonnante de Chloé André, Marie
Félix et Caroline Mounier qui fait vibrer cette
poésie charnelle, plongée dans un univers musical et
sonore où la vidéo trouve sa place, ouvre les portes
du rêve. La proposition est très aboutie. A la Rose
des Vents, Bernadette Appert signe et joue Abattoir,
où elle croise des fragments de sa mémoire familiale
(un abattoir de volaille tenu par ses parents) et le déclenchement
amoureux. «Ca commence par l’enlèvement…
» On est dans le Nord, devant une photo de
famille, on se retrouve insidieusement à l’intérieur
de la chaine d’abattage, un endroit révélateur. Une
démarche très intéressante, et une personnalité à
suivre. Il reste à espérer que ces quelques représentations
le temps du festival, ouvrent d’autres portes.
En attendant, direction le Nord pour découvrir ces
nouveaux talents.
lundi 16 avril 2012
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Théâtre
Annie Chénieux - Le Journal du Dimanche
Imprimé avec joliprint
Des Prémices prometteuses
* Théâtre du Nord, Lille, mardi 17 et jeudi
19, à 19 h.
Prémices, réservations 03 20 14 24 24. Jusqu’au
19 avril. Prochains spectacles : dimanche, à 17
h à Tourcoing, Tristesse animal noir ; lundi 16,
Stop the tempo à 19 h et Les grands plateaux à
Villeneuve d’Ascq ; mardi 17, Stop the tempo à
19 h à Villeneuve d’Ascq , Sound, à 21 h à Tourcoing
; mercredi 18, Les grands plateaux, à 19
h et Stop the tempo à 21 h à Villeneuve d’Ascq,
Sound à 21 h à Tourcoing ; jeudi 19, Les grands
plateaux à 19 h à Villeneuve d’Ascq, It’s so nice
à 20 h à Tournai.
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